Anti-ant


J’ai encore passé pour une magicienne. Pas pour une sorcière. Même si d’aucuns m’auraient peut-être bien imaginée en train de me carboniser sur un bûcher médiéval.

Rappelez-vous, ce dimanche, c’était la fête des Pères. Suis-je arrivée voir mon père drapée dans une robe étoilée ? Ai-je fait apparaître un déjeuner ? Quoique… après tout, c’est l’intérêt de faire ses courses chez Picard, on pose ses affaires, on allume le four, on bavarde et sans se donner le moindre mal, on fait apparaître des brochettes ou des profiteroles. Mais la magie n’était as là.

Ai-je fait disparaître de la poussière ? ai-je transformé une télévision rendant muette en objet parlant et coloré ? Cela m’est déjà arrivé, et pas seulement chez mon père. La fonction débrancher / rebrancher laisse parfois les personnes âgées sans voix. Un conseil si vous allez voir la cousine Berthe dans sa maison de retraite, enquerrez-vous des télés du voisinage, c’est moins onéreux que les bouquets de fleurs et moins dangereux pour les diabétiques que les gâteaux, mais vous acquerrez les bonnes grâces de tout un chacun. Mais aujourd’hui, j’avais apporté un bégonia, et aucun appareil ménager ne faisait sa mauvaise tête.

En fait, ma magie remonte à la semaine dernière. Ou à un peu plus longtemps. J’avais remarqué que des fourmis avaient élu domicile dans les toilettes de mon père. Je le dis tout net, je ne suis pas une adoratrice de Werber, les fourmis ont certainement leur place dans un écosystème, que si elles sont nombreuses, c’est parce qu’elles sont tellement petites qu’on les écrabouille sans même le faire exprès, mais que, la liberté des uns s’arrêtant à celle des autres, elles sont priées de ne pas s’attaquer à mon sandwich ni à entrer chez moi. Déjà l’année dernière au boulot, j’avais eu à faire face à une attaque en règle de myrmé-quelque chose. Après avoir apporté des tupperware pou planquer les petits gâteux ou les noisettes -les noisettes ont été achetées pour une mésange, qui a trouvé ça trop gros pour son bec, je ne pouvais pas inventer les cacahuètes non salées-, nous nous sommes rendues compte que nos formicidés semblaient vouloir élire domicile du côté du frigo. Les ailettes chauffent, il y a de quoi manger pas loin, les canalisations de l’évier permettent de partir en balade discrètement, un microcosme comme en rêverait toute fourmi. A part que là, je trouvais qu’elles avaient franchi la ligne blanche. Faire venir un défourmilleur ? Ce qui m’ennuyait, c’est qu’il risquait d’apporter avec lui nombre de produits ô combien toxiques. Et dans une kitchenette, c’est un tantinet embêtant. Si les sachets de thé, si les yaourts de l’une, la tranche de jambon de l’autre, et pire, le café, devenaient toxiques, qu’allions-nous devenir ? Risquer des arrêts de travail pour empoisonnement, j’ai déjà donné le jour où j’ai détartré une cafetière sans coller une affiche sur ladite cafetière. On a quelque part bien visible le numéro du centre anti-poison, mais ce n’est pas une raison pour s’en servir. J’ai donc fait des recherches pour savoir ce qui pouvait nous débarrasser de ces maudites bestioles. Je ne sais plus si c’est ou ailleurs que j’ai trouvé le truc du citron moisi. Le principe : prendre un citron moisi et le presser sur le chemin des fourmis pour les faire fuir. J’avais la chance d’avoir des citrons qui ne tenaient pas longtemps dans mon frigo et que j’ai donc rapporté au boulot. Et ça a marché. Les fourmis n’aiment pas le citron moisi, fut-il bio.

C’est à cette technique que j’ai repensé cette année. Mais on ne peut pas avoir tous les jours un citron moisi chez soi. A défaut, j’ai pris un demi-citron un peu triste, et l’ai posé sur la chasse d’eau, avec un papier explicatif, quand même, au cas où, que personne ne croie avoir été assez distrait pour se promener avec un demi-citron dans les toilettes. Et c’est ça qui a fait que mon père m’a regardée d’un air admiratif aujourd’hui. Parce que le lendemain de mon passage, les fourmis avaient disparu. Si je savais que les fourmis n’aimaient pas le citron ? Euh ben, non, tu crois que j’allais tester avec tous les aliments de la création avant de trouver le truc qui les chasserait ? Où elles sont passées maintenant ? M’en fiche, peut-être chez la voisine du dessous, qui dépensera des fortunes en pièges à fourmis inefficaces. Mais cela ne me Regarde pas.

Moi, je suis la magicienne qui a des intuitions géniales, et en voyant une fourmi, plonge dans les pensées de celle-ci pour apprendre qu’elle n’aime pas le citron, et qui d’un coup de baguette magique, débarrasse le monde des invasions de formicidés.